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Philosophy and Gender

Les deux faces de la morale dans la maison de poupée

Maria da Penha F. S. de Carvalho
Universidade de Janeiro, Brazil
penha@ugf.br

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ABSTRACT: La Littérature constitue sans doute un champ fertile pour les recherches dans le domaine éthique. La description de circonstances vécues ayant trait à des situations de dilemme ou de choix de nature morale qui fait l'objet de plusieurs romans ou pièces théâtrales est une stimulante invitation à la réflexion morale. Ce travail aborde la pièce théatrale Maison de Poupée, d'Henrik Ibsen, dans le propos d'analyser quelques questions morales qui y apparaissent sous l'optique de la réflexion contemporaine sur les spécificités de genre, en particulier à la lumière des études de Carol Gilligan sur les implications des différences de genre dans le développement moral. Ayant esquissé brièvement le scénario qui guide la pièce dans la première section, dans les sections suivantes nous abordons trois dichotomies qui servent à montrer comment Ibsen saisit bien les spécificités de genre qui habitent certains choix de nature morale-le public et le privé; le masculin et le féminin; l'éthique du devoir et l'éthique de la sollicitude (ethics of care). La dernière section indique comment le développement moral de Nora, héroïne de la pièce, résume bien l'imbriquement des questions qui animent l'oeuvre.

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Des professeurs et des studieux d'Éthique ont tendance à perdre de vue le lien nécessaire entre l'acte de réfléchir et l'objet de leur réflexion. Ils oublient souvent que l'Éthique présuppose son objet, elle ne le crée pas. Les problèmes moraux existent effectivement; ils sont la base sans laquelle la réflexion n'aurait pas de point de départ et ne pourrait même pas naître.

Sous ce point de vue, la Littérature peut constituer un champ fertile pour la recherche dans le domaine éthique. En effet, la descripition des circonstances de la morale vécue, la présentation de situations de dilemme et d'option de nature morale qui apparaissent dans plusieurs romans ou pièces théâtrales sont souvent une invitation à la réflexion morale. Le but de ce travail est d'accepter l'invitation d'Ibsen et d'entrer dans la Maison de Poupée.

Publiée en 1879, la pièce d'Henrik Ibsen Maison de Poupée aborde quelques questions morales fondamentales dont je prétends considérer quelques-unes dans le contexte de la réflexion contemporaine sur les spécificités de genre, en ce qui concerne la moralité; plus précisément, à la lumière des études de Carol Gilligan sur les implications des différences de genre dans le développement moral. Ces études ont été présentées dans son livre In a Different Voice.

Maison de Poupée est une pièce riche en situations qui illustrent bien le contraste entre la morale de la sphère domestique privée - qu'on attache traditionellement au sexe féminin et qui se centre sur les notions de responsabilité et de soin - et la morale masculine de la sphère publique, orientée par les principes du devoir et de la justice.

Les personnages Nora et son mari Helmer incarnent ces deux conceptions morales. Tout au début de la pièce Nora avait déjà commis une faute grave, autour de laquelle on verra s'enchaîner des situations de confrontation entre ces deux positions si radicalement différentes à propos de la moralité. Les difficultés et les fragilités des deux positions seront mises en évidence au long de la pièce.

Le dénouement surprenant met en évidence comment l'évolution et la croissance morale de Nora découlent du conflit vécu et montre la transition du personnage dès une position naïve, conventionnelle, vers une conception plus élargie de l'éthique féminine de la sollicitude.

Le "crime" de Nora

Maîtresse de maison, dévouée, gaie, soumise, Nora, l'héroïne de la pièce, incarne le paradigme féminin traditionnel. D'abord excessivement protégée par son père, plus tard par son mari, Nora a toujours vécu hors du monde, indifférente aux réalités qui dépassent les frontières de son foyer. Elle est heureuse ainsi, en sécurité dans le refuge familial. Le bonheur pour elle consiste à aimer et à être aimée, à jouir de la présence de ses enfants et de son mari et, surtout, à ne pas avoir de soucis qui gâteraient la paix familière. Son mari, Helmer, apprécie beaucoup les "attributs féminins" de Nora, son épouse-enfant, qu'il appelle amoureusement petit écureuil, petite alouette et d'autres surnoms puérils.

Au début de la pièce, Nora confie à son amie d'enfance, Mme. Linde, son grand secret : elle avait contrefait la signature de son père, âgé et infirme, dans le but d'emprunter de l'argent à un usurier et de permettre ainsi à son mari, malade lui aussi à ce moment-là, de partir en voyage de cure. D'autre part, elle a menti à son mari sur l'origine de cet argent car Helmer, tout en ignorant la gravité de son état, n'aurait point approuvé l'emprunt : elle lui dit alors qu'elle avait reçu cette somme en cadeau de son père.

Nora était très fière de son acte. Elle avait réussi, en même temps,à épargner son père de la voir aux prises avec de tels problèmes et à sauver la vie de son mari. Il y avait un autre motif d'orgueil pour Nora : en effet, pour payer l'usurier elle devait épargner sur ses dépenses personnelles et, en plus, elle devait travailler en secret pour se procurer un peu plus d'argent. Pour Nora, il n'y aurait aucun mérite de gagner, par exemple, à la loterie. C'est son sacrifice qui donne à Nora le droit d'éprouver de l'orgueil.

L'engagement de Nora vise le bonheur et le bien-être de sa famille. Ses codes moraux sont particuliers. Elle n'a aucun intérêt de connaître les lois qui régissent la société. Ses actions s'inspirent des notions de justice et de bonté qui demandent son sacrifice et son abnégation en faveur d'autrui. La responsabilité de Nora, toutefois, se restreint à quelques-uns, très proches. À la suite d'un commentaire de son mari, qui déclare éviter de contracter toute sorte de dette pour ne pas porter préjudice à ses créanciers au cas où il ne pourrait pas les payer, Nora répond gaiement : "Ces gens-là, qui est-ce qui pense à eux ? Ce sont des étrangers." (MP, 222)

En sécurité et protégée dans son monde limité, fière de ses actions dictées par sa conscience morale, Nora méconnaissait ou préférait ne pas penser à l'illégalité de sa contrefaçon. Pour elle, être moral c'est aider les êtres aimés; l'erreur serait dans le fait d'agir mal en visant son propre intérêt.

Enfantine, indifférente à la raison, ignorante des codes de la société, Nora, telle qu'elle apparaît au début de la pièce, présente des traits caractéristiques d'une perspective restreinte de l'éthique féminine associée à l'ambiance domestique privée. Ce qui importe, sous cette perspective restreinte, ce n'est pas d'agir comme n'importe quel individu abstrait aurait agit dans une situation pareille, mais d'agir de façon à satisfaire les nécessités concrètes d'un prochain spécifique. Le déroulement du drame mettra en relief la fragilité de la position morale fondée uniquement sur le concept de bonté comme abnégation de soi et sur le souci de ne pas nuire les autres. Telle fragilité se révèle lors des situations de confrontation entre la conscience morale particulière et la logique de la sphère publique.

Le public et le privé. Le masculin et le féminin.

La démarcation nette de frontières entre l'espace public et l'espace privé a ses racines dans l'organisation sociale moderne. Cette division de territoire se traduit souvent en termes d'opposition puisque les caractéristiques de chacun des espaces sont précisément celles qui sont exclues de l'autre. La sphère de la vie privée, structurée autour des rapports affectifs, obéit à des contrats non-écrits; c'est le lieu des interactions spontanées, de la valorisation de l'intimité et des rapports interpersonnels. La sphère de la vie publique, au contraire, est organisée en fonction de rapports impersonnels; elle exige la subordination de la vie affective à l'emprise de la raison impartielle et objective.

Les conceptions morales sous-jacentes aux domaines public et privé, traditionnellement liées au sexe masculin et au sexe féminin, respectivement, sont aussi contrastantes. Les études empiriques de Carol Gilligan, présentées dans le livre In a Different Voice (1982), mettent en évidence que l'expérience morale des femmes diffère systématiquement de celle des hommes: les femmes montrent une orientation éthique tournée vers la responsabilité et vers le soin, tandis que la morale masculine s'oriente selon les principes du droit et de la justice. En outre, Gilligan soutient que la moralité féminine passe par des étapes de développement spécifiques, radicalement differentes de celles qui caractérisent le développement moral masculin, qui sont d'habitude considérées universelles. Quoique l'accent sur la sollicitude et sur la responsabilité persiste au long de toute la séquence du développement moral féminin, Gilligan signale l'existence de trois perspectives morales et de leurs respectives phases transitoires, caractérisées par des regards différenciés sur la responsabilité et le soin. Les situations de crise, les expériences vécues de conflit moral et de prise de décision sont montrées comme des moments privilégiés pour le déclenchement de situations de transition vers une phase de maturité morale plus avancée.

L'héroïne de la Maison de Poupée peut illustrer le deuxième stage dans la séquence du développement de l'éthique de la sollicitude, qui se caractérise notamment par la préoccupation envers les autres et par l'exclusion de soi-même. Lors de ce stage, la notion de bonté se confond avec l'auto-sacrifice. C'est ainsi que la rencontre de Nora avec l'usurier peut être envisagée comme une première situation de confrontation vécue par le personnage : les certitudes de ses convictions morales se heurtent contre la vérité de la loi.

Quand l'usurier révèle à Nora qu'il est au courant de la contrefaçon et de suite la menace de chantage, elle ne se rend pas compte de la gravité de la situation. Elle éprouve alors envers lui une certaine crainte et beaucoup de mépris : cet usurier est mal vu et considéré moralement perdu. Tout en prennant des airs de supériorité, Nora s'étonne et se sent offensée quand il ose lui dire que la faute qui lui a ôté le respect social n'était point plus criminelle que celle qu'elle avait commise. Le langage de l'usurier est inintelligible pour Nora; elle n'arrive pas à comprendre que son acte - pratiqué d'ailleurs dans les meilleures intentions - ait traversé les frontières de sa maison et ait envahi le territore de la loi. En outre, elle payait regulièrement sa dette : elle avait donc la conscience tranquille et cela lui suffisait.

Il vaut la peine de transcrire le dialogue entre Nora et l'usurier (MP, 266). Quand l'usurier menace Nora du code pénal, elle se justifie en évoquant ses nobles motifs.

L'usurier argumente: "Les lois ne se préoccupent pas des motifs."

Nora: "En ce cas, ce sont de bien mauvaises lois."

L'usurier: "Mauvaises ou non . . . si je montre ce papier à la justice, c'est d'après elles que vous serez jugée."

Nora: "Je n'en crois rien. Une fille n'aurait pas le droit d'épargner à son vieux père mourant des inquiétudes et des angoisses ? Une femme n'aurait pas le droit de sauver la vie à son mari ? Je ne connais peut-être pas à fond les lois; mais je suis sûre qu'il doit être écrit quelque part que des choses pareilles sont permises. Et vous n'en savez rien, vous qui êtes avocat ? Vous me paraissez peu habile comme homme de loi, monsieur."

L'usurier part. Seule, Nora voit s'ébranler son assurance, fruit de sa naïveté. Est-ce que la justice peut être si froide, si insensible devant une telle noblesse de motifs ? Nora a une conception tout à fait personnelle de la justice: toute action est juste si elle est pratiquée avec une bonne intention. Sa faute, si c'était vraiment une faute, elle ne l'a pas commise contre son mari mais en sa faveur. Nora ne pouvait même pas songer à la possibilité de ce que son secret soit connu de son mari, ce secret qui a été si longtemps sa joie et son orgueil. Quelle serait la réaction d'Helmer ?

Au long des actes suivants, la pièce montre la peur de Nora et les manoeuvres qu'elle utilise pour empêcher son mari de découvrir sa faute.

Éthique du devoir versus Éthique de la sollicitude

Le mari de Nora est un avocat respectable, admiré par tous pour la fermeté de son caractère et pour la rectitude de sa vie. Il aime profondément sa femme et lui dit souvent qu'il ferait n'importe quoi pour elle. En apprenant la contrefaçon, ce grand amour disparaît et cède sa place à la colère, au mépris pour sa femme, aux sentiments égoïstes : il ne pense qu'à son honneur perdu quand le fait deviendra public.

La réaction de son mari est la plus pénible pour Nora, celle qu'elle craignait le plus, mais aussi celle qu'elle prévoyait. Elle avoue à Helmer que pendant tout ce temps elle a rêvé du miracle de recevoir sa compréhension et son pardon. Elle a espéré qu'il proposerait d'assumer publiquement la faute commise par elle, ce qu'elle aurait évidemment refusé. Cet acte aurait symbolisé, pourtant, la reconnaissance et la réciprocité de la preuve d'amour qu'elle lui avait donnée. Mais, pour Helmer, homme de loi, peu importent les nobles motifs de Nora. En accusant sa femme de ne pas avoir le moindre sens moral, il argumente: " J'aurais tout supporté pour toi, soucis et privations, mais il n'y a personne qui offre son honneur pour l'être qu'il aime". Choquée par le comportement formel et égoïste de son mari, Nora lui répond: "Des milliers de femmes l'ont fait." (MP, 362). Helmer, d'un ton sévère, l'accuse de parler comme un enfant, de ne rien comprendre à la société dont elle fait partie. Devant l'explosion de colère de son mari, Nora se tait, elle ne se défend pas, elle n'essaie pas de se justifier. Il n'y a pas de dialogue possible.

Cette confrontation révèle deux univers différents. Nora et Helmer incarnent deux conceptions morales tout à fait distinctes : tandis que le comportement de Nora est inspiré par des sentiments de sollicitude, de solidarité et de responsabilité envers ceux qu'elle aime, les actions et les jugements moraux d'Helmer sont régis par les préceptes du devoir, de la justice, du droit et de l'obligation; son compromis prioritaire se rapporte au contrat social. Cette deuxième situation de conflit subie par Nora est décisive pour la pousser vers la perspective d'une plus grande maturité morale.

Deux versions de l'éthique de la sollicitude

Un évènement inattendu apportera finalement le pardon si rêvé par Nora : l'usurier change d'idée et lui rend le document compromettant. Le document à la main, Helmer crie de joie: "Je suis sauvé ! Je suis sauvé !" " Et moi ?" , demande Nora. "Toi aussi, bien entendu", répond Helmer, "nous sommes sauvés l'un et l'autre. Regarde : il te restitue ton reçu. Il regrette, il se repent . . . Un heureux événement venant à changer son existence . . . ah! peu importe ce qu'il écrit." (MP,350)

Quel serait cet "heureux événement" subi par l'usurier ? C'était le tout récent moment où il retrouve Mme Linde, dont il avait été amoureux dans le passé. Ils s'aimaient encore. À présent, veufs tous les deux, ils avaient décidé de se marier.

Mme Linde réussit alors à persuader l'usurier à pardonner Nora. Pourtant, c'était juste elle qui, auparavant, n'avait rien fait pour empêcher que Helmer prenne connaissance du contrefait. En d'autres mots, Mme Linde souhaitait bien que son amie fut pardonnée, mais, en même temps, que l'acte de Nora soit connu de son mari, parce qu'elle est convaincue que - tout pénibles qu'en soient les conséquences - la vérité doit être révélée : ce n'est pas juste de vivre dans le mensonge.

Nora et Mme Linde représentent deux perspectives de l'éthique de la sollicitude. Quelle sollicitude pour Mme Linde ? Sa vie ne fut pas aussi sereine que la vie de Nora. Elle n'a pas pu se marier par amour; elle s'est mariée par convenance, avec quelqu'un capable de lui assurer les conditions financières nécessaires pour soigner sa mère et élever ses deux petits frères. Ils ont vécu confortablement jusqu'à la mort de son mari; il n'a rien laissé et elle a dû travailler dur pendant des années jusqu'au moment où sa mère est morte et où ses frères n'ont plus besoin d'elle. Veuve, sans enfants, elle se sent seule et inutile. Elle accepte alors, pleine d'espoir, la demande en mariage de l'usurier : "Quel avenir, quelle perspective nouvelle ! J'ai pour qui travailler, pour qui vivre et un foyer à soigner." (MP,331).

Si, d'un côté, les notions de sollicitude et de responsabilité restent toujours au centre du comportement moral de Mme Linde, il est possible d'identifier - dans son option de révéler la vérité, par exemple - les signes d'une perspective de l'éthique féminine de la sollicitude élargie, alors, par la considération de l'aspect du devoir et de la justice. Dans les termes de Gilligan: "Quand le souci envers sollicitude s'élargit et passe d'une obligation de ne pas nuire aux autres à un idéal de responsabilité dans les rapports sociaux, les femmes commencent à envisager leur compréhension de ces rapports comme source de puissance morale." ( Gilligan, 160).

La croissance morale de Nora

Les derniers moments de la pièce expriment nettement, encore une fois, la tension entre deux morales conflictuelles. À ce point-là, toutefois, c'est l'insuffisance intrinsèque à la perspective morale masculine, fondée sur la raison "impartielle" et "objective", qui sera mise en évidence.

Au moment même où arrive la lettre de l'usurier qui rend aux Helmer le document avec la signature fausse, l'amour du mari renaît comme par magie: Puisqu'il n'y a plus de preuve matérielle du délit, c'est comme s'il n'avait jamais existé. Helmer comprend, finalement, que sa femme avait agi par amour. Il lui demande d'oublier les dures paroles qu'il lui avait adressées. Helmer était un homme juste, il savait pardonner ! Mais Nora ne veut plus son pardon. Helmer promet de l'aimer et de la protéger comme il avait toujours fait. Mais Nora ne croit plus à son amour et elle n'a plus besoin de sa protection. Nora n'est plus la même : la crise qu'elle a vécue par son ignorance lui a révélé la nécessité de repenser ses sentiments, son mariage, sa vie jusque-là. En sortant de son silence, elle déclare franchement à son mari : "Des mains de papa j'ai passé aux tiennes; j'ai été poupée-femme chez toi, comme j'avais été poupée-enfant chez papa, je veux dire que toi et papa, vous avez été bien coupables envers moi. À vous la faute, si je ne suis bonne à rien." (MP, 355-6). L'heure de changer est arrivée pour Nora, l'heure d'apprendre sur soi-même et sur le monde, mais, pour cela, il faut quitter la "maison de poupée". Nora communique la décision de partir à son mari.

Helmer emploie tous les arguments et toutes les menaces possibles pour la dissuader de partir : il lui rappelle ses devoirs de mère et d'épouse, il évoque la religion, la société : qu'en dira-t-on ? En partant, elle va trahir les devoirs les plus sacrés ! Nora répond qu'elle a d'autres devoirs tout aussi sacrés: les devoirs envers elle-même. Désespéré, Helmer argumente encore qu'avant tout elle est épouse et mère. Nora lui répond : "Je ne crois plus à cela. Je crois qu'avant tout je suis un être humain, au même titre que toi . . . ou au moins que je dois essayer de le devenir. Je sais que la plupart des hommes te donneront raison, et que ces idées-là sont inprimées dans les livres. Mais je n'ai plus le moyen de songer à ce que disent les hommes et à ce qu'on imprime dans les livres. Il faut que je me fasse moi-même des idées là-dessus, et que j'essaie de me rendre compte de tout." (MP, 359).

L'attitude de Nora illustre bien une situation de transition dans le développement de l'éthique féminine de la sollicitude : la transition dès une perspective morale conventionnelle, fondée uniquement sur la préoccupation de ne pas nuire aux autres et sur l'effort de promouvoir le bonheur des autres, vers une conception plus élargie de la sollicitude qui l'inclut elle-même aussi.

À la fin de la pièce, Nora abandonne sa maison, son mari, ses enfants et part à la recherche de réponses nouvelles et plus fermes à ses doutes. Bien sûr, Nora a beaucoup à apprendre sur les lois de la société, mais son éthique féminine de la sollicitude a aussi beaucoup à dire. Le dialogue difficile entre des "voix différentes" n'élimine pas la possibilité du dialogue. D'ailleurs, dans la théorie de Carol Gilligan sur l'existence de conceptions éthiques qui sont spécifiques au genre, l'idée de hiérarchie n'est pas comprise; celle d'incompatibilité non plus. Au contraire, l'idée mise en valeur est celle de complémentarité.

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Bibliographie

GILLIGAN, C., In a Different Voice - Psychological Theory and Women's Development, Boston:

Harvard University Press, 1982 (on a employé la traduction brésilienne : Uma Voz Diferente, Rio

de Janeiro: Rosa dos Tempos, 1990)

IBSEN, H., "Maison de Poupée", in Peer Gynt - Maison de Poupée - deux pièces, Paris: Le Livre Club du

Libraire, 1958, p. 217-366 (abrégé MP).

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