Valeur et Culture Vera Rudge Werneck
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Le mot VALEUR est assez usé aujourd'hui. Il signifie des réalités semblables mais pas identiques. Il est donc nécessaire de bien préciser son sens avant de l'employer: on considère comme une valeur tout ce qui a, en quelque sorte, de la valeur pour l'homme. Bien des fois la valeur a été confondue avec les objets matériels qui la soutiennent, c'est-à-dire, ses dépositaires. En effet, les biens ne se confondent pas avec les valeurs puisqu ils equivalent aux objets de grandes valeurs, c'est-à-dire, aux êtres qui portent une valeur. Pour Max Scheler "il est visible que ni l'expérience de la valeur ni son degré d'adéquation et d' évidence (adéquation au sens plein plus évidence constituent son caractère d'auto-donnée)ne dépendent aucunement de l' expérience des supports de cette valeur." (1) D'autre part, les valeurs ne se confondent pas non plus avec les surnommés objets idéaux: la beauté n'est pas pareille à l'idée de beauté,la justice n'est pas le même que l 'idée de justice. Donc les valeurs ne sont pas, elles valent. Elle constituent une autre catégorie de la connaissance de l'être. Elles sont plus que les propriétés spécifiques des surnommés biens, c'est-dire, des objets dotés de valeur. Il est encore nécessaire de distinguer valorisation de valeur. Risieri Frondisi affirme: "Il est certain que la valorisation est subjective; il est cependant indispensable de distinguer la valorisation de la valeur. La valeur est antérieure à la valorisation. Confondre valorisation et valeur,c'est comme confondre perception et objet perçu. La perception ne crée pas l'objet mais elle le perçoit. Il arrive le même à la valorisation. Le subjectif, c'est le processus de la perception de la valeur." (2) La discordance des évaluations se rapporte plutôt à l'échelonnement et aux biens qu'aux valeurs mêmes. L'idée de valeur a été parfois restreinte à la valeur morale. Cependant les manques humains ne se bornent pas qu'à cet aspect mais ils le dépassent vers la vérité, la beauté, l'utilité, en bref,vers tout ce qui, en quelque sorte, fait défaut à l'homme. Donc on ne connaît pas seulement l'être, les êtres, mais aussi la valeur de l'être en particulier. Les êtres sont saisis pour leur valeur, pour ce qu'ils signifient à l'être humain. L'homme se connaît avant de se faire une idée sur soi-même. Avant de se nommer, avant de se définir, avant de s'identifier en tant qu'être, il a la connaissance de soi-même en tant que conscience de soi, en distinguant sujet et objet Louis Lavelle affirme "qu'il n'y a pas donc de connaissance de soi, au sens où cette connaissance suppose la distinction d'un sujet et d'un objet, mais seulement une conscience de soi qui abolit cette distinction parce qu'elle me permet de saisir toujours mon être à l'état naissant, dans l'acte même par lequel, à chaque instant, je ne cesse de le créer. (3) La connaissance de soi-même est la connaissance immédiate d'un être dont la valeur est inachêvée. Il manque à l'homme la valeur, il lui faut valoir davantage,valoir en tant que personne, ce qui signifie avoir l'expérience subjective du bonheur. Il a été déjà dit que la souffrance de l'homme ne découle pas de la privation d'être, mais de la privation de la valeur Sa plus grande aspiration sera la conquête de la valeur pour qu'il vaille en tant que personne. Le moi sera donc constitué du dynamisme du manque, par la conquête des valeurs dans le but de se faire personne et de se cultiver en instaurant en soi-même la valeur. Chaque fois que l'individu fait grandir sa valeur en raison de l'avoir acquise d'une manière ou d'autre, il se sent digne d'une valeur plus élevée. Soit au plan de la vitalité, par une augmentation de sa santé, de sa force physique, de son agilité, de son bien-être physique, acquis par une nourriture saine, une éducation du corps ou la pratique d'un sport; soit au plan des biens utilitaires, par une augmentation de ses richesses, ce qui lui permettra de posséder plus de biens matériels; soit au plan de la connaissance, ce qui lui permettra de mieux comprendre la vie et de mieux maîtriser un champ du savoir; soit au plan esthétique, ce qui lui permettra de mieux sentir la beauté.Toutes ces acquisitions entraînent toujours l'agrandissement de la valeur de la personne. Il y a donc pour l'homme une façon idéale d'accomplissement, entendu comme l'adéquation, la suppression du manque; et une action juste, qui le conduit à cet accomplissement. Ce n'est pas le destin en tant que force aveugle et inexorable qui guide la vie de l'homme; mais c'est la destinée même de l'homme qui lui montre la plénitude et de cette façon le guide dans sa vie en lui faisant remplir son manque, c'est-à-dire, sa plus grande valeur. L'affirmation d'Yvan Gobry est fort intéressante. Dit-il: "La nature est tendue vers l'essence: insatisfaite d'elle-même, de sa privation et de sa mouvance, elle aspire à la plénitude et à la stabilité. Seule la spiritualité les lui donnera. Sa destinée, c'est l'appel de l'essence, l'offre permanente d'un état essentiel qui répondra aux voeux de la nature. La morale, c'est le passage intentionnel de la nature à l'essence, de la vacuité à la plénitude, de l'insatisfaction à la valeur. L'essence de l'homme est toujours en avant, bien que certaine; toujours en question, bien que clairement définie; toujours fuyante, bien qu'objet de notre volonté;" (4) c'est mais c'est la destinée même de l'homme qui lui montre la plénitude et ainsi le guide dans la vie en le faisant remplir son manque,c'est -à-dire, sa plus grande valeur. On y placerait,bien définie,la fonction de la culture: l 'instauration de la valeur, là, où la culture n' existe point, faite par la volonté libre de l'homme. La conscience même de l'imperfection montre, en quelque sorte, l'existence et l'exigeance de la valeur car elle revèle ce qui devrait être et ne l'est pas. Et la conscience de son imperfection même se présente au sujet non seulement comme une idée mais aussi comme une exigeance de perfection; comme un "devoir-être"impératif qui motive et fait appel à la tendance et à l'appréhension de la valeur. On déduit par là que la destinée de l'homme, c'est l'appréhension et sa croissance dans la valeur.Cette quête se présente comme une exigeance, comme un vrai impératif catégorique qui ne permet pas à l'homme de se contenter de son animalité mais qui le conduit à souhaiter avoir une valeur en tant que personne et par cette valeur souligner son humanité.La conscience de la privation n'est nullement passive et statique; au contraire, elle est active et dynamique et entraîne la quête de la plénitude. La conscience de la privation et de l'aspiration à l'accomplissement fera place à la connaissance-pas au destin-mais à la destination. L'idée de destination conduit tout naturellement à la réflexion sur la l'action de l'homme et, ainsi, sur la fonction et l' importance de la culture. Le mot culture qui procède du latin cultura, labourage, travail des champs, et qui a ensuite pris le sens d'instruction, de connaissance acquise, se rattache à collere, cultiver, soigner, s'occuper de, en opposition à nature en tant qu'ordre établi. C'est donc ce qui est donné à l'homme pour être transformé par lui.La culture exige l'action de l'homme sur la nature, mais pas nécessairement en opposition à elle ou de forme indépendante `a son égard. Peu à peu le mot culture en vient à signifier le système d'attitudes et de valeurs d'une société donnée. Depuis le XIX e. siècle, ce mot cesse de signifier "grand raffinement"pour se rapporter à la manière d'être des différentes sociétés, pas simplement concernant la nature. En 1871, l'anthropologue britannique B. Tylor, dans son oeuvre "Primitive Culture" définit culture comme"le complexe où sont inclus les connaissances, les croyances, l'art, la loi, la morale, les coûtumes et beaucoup d'autres aptitudes et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société. (5) La culture a été aussi envisagée comme une catégorie autonome, comme un superorganisme, comme un élément différent et indépendant de l'action de l'homme et dont le dynamisme émanerait de forces immanentes..La culture a été considérée comme porteuse de forces autopropulsives. La plus récente position anthropologique accepte la culture en tant que résultat de la connaissance et de la pratique scientifique, en opposant, en quelque sorte, nature et culture, lorsqu'elle considère comme des caractéristiques différenciées entre l'homme et l'animal, les coûtumes, les croyances et les institutions, éléments qui rendent possible la vie sociale. On a alors commencé à souligner la pluralité des cultures locales, en tenant chacune pour un ensemble organisé et en écartant l'idée de perfectionnement des coûtumes et des institutions. Malinowski (6) entend la culture comme l'ensemble fonctionnel où les institutions sont présentes en tant qu'unités dynamiques dans la culture et dans l' étude des sociétés primitives envisagées comme entités-conception pluraliste et relativiste de la culture qui, autant que toutes les autres du même genre rendrait fort difficile la compréhension du phénomène. Si toutes les définitions de culture ont, d'une part, le mérite de tracer des limites au problème, elles ont, d'autre part, le défaut de ne pas lier culture et valeur, ce qui rend difficile leur compréhension. M.Reale envisage la culture comme "l'universalité des biens spirituels et matériels que l'humanité a construits le long du temps, ayant en vue l'accomplissement de ses fins mêmes." (7) On se rend compte ici, en toute évidence, de la différence fondamentale entre les différentes conceptions de culture et de l'apport enrichissant de Reale en faisant réfléchir sur les notions de "biens"et "d'accomplissement de ses fins mêmes."Il est possible que ces mots soient implicites dans l'idée même de culture; cependant les positions relativistes, en envisageant toute production humaine comme culture, la détournent de la notion de valeur, car elles tiennent le nuisible, l'inutile, l'erreur logique, le laid et le mal pour ses marques.Culture signifierait tout résultat de l'action de l'homme et rasemblerait la valeur et la contre-valeur, ce qui entraînerait des impasses importantes au plan de l'éthique et du droit. On admettrait comme culture aussi bien la culture du riz que celle de la marijuana; aussi bien la fabrication de l'automobile que celle des bombes meurtrières; aussi bien les connaissances scientifiques que les publicités trompeuses; aussi bien l'oeuvre d'art que l'objet laid et déplaisant; la bonne action aussi bien que la méchante; la richesse de quelques uns aussi bien que l'indigence de quelques autres.Tous ces aspects seraient des exemples de la culture d'un groupe social. Il s'impose donc comme fondamental le concept de valeur pour mieux comprendre celui de culture. Le monde de la culture serait alors constitué des objets tels qu'ils devraient l'être, c'est-à- dire, le monde de la culture devrait être le monde des valeurs instaurées par l'homme qui le conduiraient à l'accomplissement de ses buts à lui. Si l'on admet comme valeur ce qui a de la valeur, en quelque sorte, pour l'homme, ce dont il est privé, ce qui satisfait ses besoins et remplit son manque, on reviendra à l'éternelle question de l'anthropologie philosophique: qui est l'homme? L'homme, c'est un être à l'état d'incomplétude, d'imperfection, un être qui est conscient de son manque et qui, en raison de cela, cherche, sans arrêt, sa complétude, son achèvement. Avant de se définir, l'être humain se voit comme quelqu'un qui aurait besoin de quelque chose qui puisse l'achever. Et cet objet qui peut l'assouvir, c'est justement la valeur. En raison de cela, l'on dit que le manque chez l'homme n'est pas ontologique mais axiologique. C'est la valeur, sous ses différentes formes, qui comblera les aspirations de l'homme. La valeur n'est pas une simple qualité de l'être, c'est un être autonome.En effet, les valeurs se dégagent toujours des êtres qui les portent.Les êtres du monde, puisqu'ils portent en eux-mêmes une valeur, deviennent, pour l'homme, "des biens de valeur" précieux. L'être des objets est, donc, donné selon la signification de la valeur qu'il porte. Les normes juridiques, les lois de la circulation, les règlements et même les règles du comportement n'expriment pas seulement des jugements logiques mais aussi des jugements de valeur par rapport aux valeurs de respect, de justice, de liberté etc... La culture, c'est donc le résultat de la mise en place de la valeur sur le concret, faite par l'homme, ne pouvant pas être conçue comme autonome et indépendante de lui. L'homme ne fait pas que rechercher et saisir la valeur qui peut le satisfaire; mais il l'instaure chez soi-même, chez autrui et dans le monde, si bien qu'il crée la culture. En recherchant la valeur beauté dans la nature ou dans un paysage, il l'instaure en créant l' oeuvre d'art. Les valeurs signalent, montrent, démontrent le "devoir-être"; et l'être vaut dans la mesure où il porte la valeur. La culture ne se caractérisera pas à travers le soutien de la valeur, des êtres ou bien des objets mais au moyen de la signification qu'ils ont, c'est-à-dire, au moyen du rapport établi avec le "devoir- être"de l'homme et, par conséquent, avec sa valeur. L'homme met en place la valeur en étant libre pour le faire, conformément aux multiples possibilités qu'il a de satisfaire ses besoins. On aboutit ainsi au problème de la liberté. Là, il semble que l'on se trouve devant une difficulté: comment concilier la liberté de l'instauration avec l'exigeance du "devoir- être?" L'idée du "devoir- être"semble renfermer l'acceptation d'un "moi-idéal," d'une façon d'être particulière et juste, capable de faire accomplir l'homme. Le problème, paraît-il, reste: le devoir-être de l'homme se présente-t-il par force devant lui, comme une exigeance éthique universelle? Ou bien l'homme est-il libre de choisir n'importe quelle forme d'être, de décider d'une manière non- déterminée sur la meilleure façon de réussir dans sa vie personnelle? Peut-on comprendre le mot libre dans le sens de non-déterminé? Je me permets ici d'employer les concepts de personne et de personnalité pour mieux comprendre ce problème. Tout homme est, en même temps, une personne et une personnalité. En tant que personne, il est un animal,donc un être vivant, doté de raison, de liberté psychologique et de sensibilité/ affectivité. Ainsi il ne s'accomplit que par le respect et l'épanouissement de ces caractères.C'est à l'homme de faire le plein dans sa vie biologique, dans sa capacité cognitive, dans son libre arbitre et dans son affectivité. A ce sujet, il n'y a pas de choix. La personne, envisagée sous cet aspect, serait la " valeur- source " et la valeur- fin de tout homme, ce qui signifierait conquérir la dignité de la personne humaine et vivre conformément à cette dignité. En même temps, chaque être humain est une personnalité singulère et unique, aux caractères individualisants qui découlent d'un code génétique, des facteurs de l'environnement et de l'histoire, qui la rendent singulière et différente à l'égard de toutes les autres. Pour cette raison, chacun doit aussi s'épanouir selon sa personnalité, cherchant à accomplir, dans le sens de faire le plein, chacun de ses caractères, lesquels pourraient être nommés potentialités, d'après la terminologie aristotélique-thomiste. L'homme recherche, dans la nature, la valeur qui correspond aux manques, aux besoins, soit de sa personne même, soit de sa personnalité et,`a la fois, il l'instaure par son action et par son activité en bâtissant la culture. Il faut alors analyser le processus de la culture. Comment l'homme agit- il pour qu'elle se présente sous une forme unique à chaque époque et à chaque endroit? D'abord il faut se rendre compte du fait que l'homme naît et dans la nature et dans une culture. L'enfant vient au monde dans un certain milieu culturel et reçoit, à un moment de sa vie caractérisé par le savoir préconceptuel, une série d'informations sur les usages et les normes de comportement tenus pour valables par cette culture où il est né. Il reçoit, de ce que l'on nommerait "l'imaginaire social"de cette culture, une vision de monde, une vision d'autrui, une interprétation du réel qu'il acceptera d'une forme passive, non -critique, préconceptuelle. Tout ce bagage sera absorbé et participera à la formation de la personnalité de ce nouvel être, de même qu'il constituera l'instrument de base avec lequel chacun commencera son processus d'éducation et d'instruction. Comme on a déjà dit, l'homme serait l'animal rationnel et libre, doté de vie affective. Influencé par le savoir préconceptuel de la culture où il né, avec sa sensibilité, il se mettra en quête, aux différents niveaux, de la valeur et l'hiérarchisera dans son processus d'éducation. Par sa raison, il connaîtra les idées et énoncera des jugements et des raisonnements à leur sujet, voire des jugements de valeur qui lui permettront l'échelonnement des valeurs; enfin, avec sa volonté, il agira en quête des buts déterminés par son entendement. Il se crée donc une interaction entre les processus de la sensibilité, de la rationalité et de la volonté, toujours sous l'influx de l'imaginaire préconceptuel reçu dans l'enfance. La culture serait le résultat de l'action lorsqu'elle introduit la valeur dans le concret, sous l'interférence de la sensibilité et de la raison. Elle reflèterait une échelle de valeurs, d'idées, de jugements, de raisonnements et, en plus, les manifestations de l'imaginaire social et individuel de chaque personne humaine. De même que l'imaginaire social qui exprimerait le processus et le produit de l'interprétation collective du réel, de même l'imaginaire individuel se constituerait-il qui exprimerait l'interprétation individuelle de chacun sur le monde et sur la vie sociale. Il serait possible de faire la différence entre le préjugé_ soit celui provenant du milieu social soit celui originaire des interprétations individuelles_ et la connaissance rationnelle logiquement justifiable. On distingue aisément l'affirmation validée par la science, le dogme religieux et même la tradition,de celle exempte d'explication plausible de la raison. En effet, on remarque que ceux nés dans le même milieu culturel ont des points de vus semblables, une grande identité dans leur vision du monde et des rôles sociaux, ce qui est observable chez les membres d'une même famille. En même temps, il est aussi évident qu'il y a toujours une diversité d'interprétation qui préjuge le réel, observable chez des frères élevés exactement de façon identique, c'est-à-dire,dans la plus profonde égalité culturelle possible, ce qui souligne les différences et les caractères de chacun. Cette idée d'imaginaire est aujourd'hui assez provoquante. Elle fait croire que l'on n'a pas sur la réalité de connaissance précise, mais seulement une interprétation préconceptuelle qui influence l'affectivité, la connaissance scientifique et l'action de la volonté et, par conséquent, la production de la culture. Il est évident que l'on peut surmonter le préjugé provenant des interprétations de l'imaginaire en s'appuyant sur la science,la philosophie et la religion. Ce qui est difficile, c'est de préciser quelles connaissances scientifiques, quelles constructions philosophiques et quelles pratiques religieuses sont affranchies de cette interférence et dans quelle mesure. L'homme est donc producteur et produit de la culture. Cette action de production de culture se fait par le processus de mise en place de la valeur dans le concret et ainsi, de sa signification.Elle peut se faire en dressant un pont sur un fleuve, en perforant un tunnel dans la montagne, en montant une voiture, en formulant une loi physique, en composant une pièce de musique ou bien en faisant régner la justice dans la vie social.e. C'est une action qui se reflète sur le monde, sur l'autre ou sur soi-même. Elle revèle l'humanité de l'homme. Seul l'homme fait de la culture. On admet comme culture le développement du corps au moyen d' exercices qui font augmenter les valeurs de force, de vitesse, de souplesse. On cultive la voix, la sensibilité et le raisonnement qui changent la façon d'être de l'homme. Peut-être est-il possible d'envisager comme culture, pas le sentiment ou la raison dans leur quête de valeur ou de vérité mais le changement qui ébranle l'homme par l'épanouissement systématique de sa sensibilité et qui le transforme en amateur d'art, voire en artiste; la quête permanente de la vérité qui crée l'intellectuel; ou alors l'exercice de la vertu qui fait naître l'homme de bien, voire le saint. Ce qui marque le processus de la culture, c'est la transformation du sujet par l'incorporation d'une nouvelle valeur qui le rend meilleur à un certain égard. Ainsi toute production humaine quoi que ce soit le domaine-science ou relations humaines, art ou bien normes juridiques_débute toujours par un choix de valeur qui a besoin de satisfaire et la personne et la personnalité. Rien ne peut être donc aussi important dans la production culturelle que reconnaître la valeur et son juste eéchalonnement. Toute recherche implique dans une option, une sélection préalable des données de l'expérience. L'homme de science part d'une conception de l'homme: être tout à fait matériel, être provenant du milieu social où il est né, ou être spirituel qui ne s 'accomplit entièrement qu'à ce niveau-là. Cette option est causée par des actes successifs de liberté, ce qui montre encore une fois l'exigeance de cette valeur pour n'importe quelle action de l'homme. Cependant cette liberté ne peut être comprise comme indétermination ou choix aléatoire, fait au hasard, sans conséquences et sans justification. Il y a donc une conduite souhaitable et exigible. Il y a des valeurs qui correspondent aux besoins humains à leurs différents niveaux et aspects et qui, pour cette raison, deviennent souhaitables et exigibles. Ces considérations font croire à l'existence d'une catégorie antérieure: `a celle de la liberté qui l'englobe et guide son action et qui serait la notion même de personne humaine. Puisqu'il y a une forme idéale d'être autant pour l'homme tant qu' il est personne tant qu'il est personnalité, il faudra qu'il la poursuive comme un devoir, une exigeance, sans aucune possibilité de choix à ce sujet et sans laisser que les besoins de la personnalité maîtrisent ceux de la personne. A partir de ces affirmations, la liberté ne peut être comprise que comme libre arbitre, que comme la qualité qui rend possible l' option entre deux positions, entre deux façons d'agir, comme la qualité qui instaure les valeurs, même comme liberté morale de choix entre deux options admissibles, mais jamais comme indétermination. On est libre de choisir entre les valeurs, mais pas entre la valeur et la contre-valeur. Chacun poursuivra la valeur qui correspond aux manques de son "état de personne" et même de sa personnalité, puisqu'il ne serait pas juste de dissiper ses potentialités. Celui qui a du talent musical doit chercher à s'accomplir avec la musique. Il ne doit pas rejeter ce don qui lui permettra d'aboutir à l'être en plénitude. Les valeurs sont appréhendés par l'expérience et non pas par la connaissance rationnelle..C'est la sensibilité de l'homme qui les saisit au niveau matériel au moyen des sensations. Mais le"sentiment"nommé "intuition émotionnelle"par quelques uns comme, par exemple, Max Scheler, les appréhende aussi au niveau non- matériel. On se rend compte alors d'une autre forme de connaître qui n'est pas celle entreprise par la raison. Le "sentiment" n'est pas compris en tant qu'état affectif passif, mais en tant que procédé cognitif. Les sensations du plaisir, du beau et du bom entraînent la connaissance de la valeur du goût, de la beauté et de la bonté. Il est possible de définir le beau comme l'harmonie des formes. Cependant l'émotion esthétique ne survient qu' en présence de la valeur beauté existant, par exemple, dans un paysage qui éblouit l'homme. Les premières expériences de la vie sont aussi les premières expériences de la valeur. Elles surviennent dans une phase préconceptuelle et laisseront des empreintes sur toutes les autres facultés du psychisme humain. On dirait qu'elles forment une première base, un premier entendement qui soutient et guide à jamais les procédés de la sensibilité, de la rationalité et de la volonté, selon un degré d'intensité variable. La connaissance intellectuelle se présente autrement. Elle survient par l'appréhension de l'idée, par le jugement de la réalité ou de la valeur et par le raisonnement. L'expérience spontanée influencera la connaissance des catégories et vice versa. Cependant il est possible d'accepter l'expérience spontanée en tant que fondement de toute action, y compris de celle déterminée par la science. La façon de regarder le monde et la fa,con de regarder autrui d'après la culture de départ de l'homme de science l'influenceront à l'occasion de ses options de recherche et dans la direction de son travail. En même temps, il est possible d'affirmer que le bagage scientifique et technologique de chaque époque agira sur les habitudes et les usages de la culture en les modifiant.Tout genre d'expérience vécue engendrera une certaine production culturelle. D'une part se trouvent la vision du monde et la idéologie reçues passivement pendant la phase préconceptuelle et qui influencent non seulement l'appréhension des idées par la raison mais aussi la formulation des idées et des théories scientifiques; d'autre part, la connaissance rationnelle et les conquêtes scientifiques qui agissent aussi sur la production culturelle et indirectement sur les expériences de vie. C'est cela qui contribuera à changer la vision du monde et l'idéologie de la nouvelle génération. Ce n'est pas parce que le philosophe, l'homme de science, l'intellectuel reconnaissent l'interférence de l'imaginaire sur la connaissance qu'ils doivent dédaigner celle-ci.. Cela ressemblerait à un refus de la condition humaine. Cette interférence découle de l'imaginaire: tout adulte a été enfant un jour. Il ne faut pas méconnaître ce fait et de même refuser l'interférence de la connaissance préconceptuelle dans toute la vie de l'adulte sous prétexte qu'il s'agirait de quelque chose de honteux, sans importance ou compromettant de la validité de son activité intellectuelle. Au contraire, il importe qu'elle soit acceptée et reconnue afin d'être délimitée et contrôlée. Il ne servirait à rien de la refuser car elle serait présente, quoique niée et par la négation même. C'est en reconnaissant son imaginaire même et l'interprétation que chacun donne à la réalité qu'il est possible de faire des distinctions permettant la production de la science et l' acceptation du point de vue d'autrui et de sa culture à lui. Il est possible en plus de considérer comme processus culturel l'effort individuel vers la culture, tel que l'épanouissement de la personnalité en vue d'une plus grande partipation aux biens de la civilisation, en vue d'un élargissement du savoir ou bien du savoir- faire. En bref, le processus culturel collectif côtoyerait le processus culturel individuel. La culture présente deux aspects : en tant que processus, elle est dynamique, en mutation permanente; en tant que coupure faite dans le temps et dans l'espace, elle est statique. L'examen des différentes façons d'organisation des valeurs qui distinguent les cultures les unes des autres ne rend pas invalide leur unité par rapport aux exigeances fondamentales de la personne humaine. Bien que l'homme soit toujours conditionné par l'instance historique-sociale, il n'est pas possible d'expliquer tout le phénomène de la culture par un relativisme historiciste. Il faut dépasser cette forme d'interprétation pour que la dimension éthique soit atteinte. Ces considérations conduisent naturellement au problème des cultures. Peut-on accepter que quelques cultures soient plus avancées,"meilleures"que d'autres ? Peut-on parler du progrès et du recul d'une culture? Quelques uns refusent cette possibilité car ils ne reconnaissent aucun reférentiel qui puisse servir d'instrument de mesure `a cela.. Il est évident que l'on ne peut parler de progrès, de développement, d'avance que par rapport à une fin préalablement déterminée. Aux regards historicistes et relativistes, il est impossible de mesurer le progrès d'une culture. Chaque manifestation culturelle doit être analysée séparément, indépendamment des autres et des principes éthiques. Les traits et les modèles culturels expriment des façons d'être, des conceptions de monde aux caractères justes et singuliers qui n'admettent pas d'examen au plan moral. L'étude de l'histoire exige naturellement la compréhension des valeurs de la culture d'une époque. Les limitations qui s'ensuivent aux conditionnements géographiques, dans le domaine technologique, influencent les caractères des différentes cultures. Elles méritent un examen pour être mieux comprises. L'histoire n'est pas une science de normes; c'est l'étude du processus de vie de l'homme dans le monde. Cependant si ce reférentiel est établi, il sera possible d'évaluer le progrès d'une culture. La difficulté sera alors dans la fixation de ce reférentiel. Il est possible de choisir, par exemple, le domination de la nature. D'autant plus la culture aura devéloppé la science et la technologie et réussi dans ce que l'on comprend par civilisation, qu'elle sera plus progressiste. Il est possible de prendre comme reférentiel l'indice de richesse des habitants qui la créent, soit la richesse de l'État comme dans le mercantilisme, soit celle des habitants en général, comme le revenu individuel moyen. La distribution des richesses, le niveau de vie et le respect pour l'écossystème peuvent être aussi pris pour des critères d'évaluation. D'après notre exposition, nous croyons que le progrès d'une culture dépendra du degré d'instauration des valeurs, correspondant d'abord aux exigeances de l'homme-personne; puis à celles de l'homme-personnalité. On se demande alors ce qui survient lorsque l'on voit instaurées, pas les valeurs qui ennoblissent l'homme, mais,au contraire, les contre-valeurs qui le rabattent et lui nuisent. La culture n'étant pas seulement le résultat de la production de l'homme, mais aussi celui de la production humaine juste, c'est-à- dire, de celle qui introduit des valeurs dans le monde, chez autrui et chez soi- même, comment faudra-t-il nommer la dévalorisation et la mise en place des contre-valeurs? Si le mot contre-culture a déjà un sens exact-celui d'une sorte de culture-faudra-t-il en créer un autre pour désigner le processus de négation et de destruction des valeurs et de l'instauration des contre-valeurs,résultat de l'action humaine? Ou bien faudra-t-il se servir du même mot "contre-culture" ou "culture négative" pour le nommer? Il est certain que, de plus en plus, on se rend compte du besoin de délimiter, de préciser l'idée de culture afin de rendre possible la différence entre le bom et le mauvais. En conséquence, l'humanité pourra surpasser la perplexité où elle se trouve à présent. Il est inadmissible d'accepter le nuisible et l'erreur comme manifestations de culture. S'agit-il d'un simple problème de sémantique? Ou bien, par ignorance ou confort, l'homme est-il en train d'assister passivement à l'essor des contre-valeurs en devenant complice de ce processus? Malgré la grande difficulté de la matière, nous pensons que l'idée de culture considérée comme instauration de la valeur mérite, en tant qu'un nouveau paradigme, en tant qu'idée directrice, l'attention et la réflexion de tous ceux qui souhaitent un monde meilleur. |
Bibliographie (1) Scheler, Max-Le Formalisme En Éthique Et L'éthique Matérielle Des Valeurs. France, Sant Armand (Cher), 1955. (2) Frondizi, Rizieri-?Que Son Los Valores? México, Fondo De Cultura Económica, 1986. (3) Lavelle, Louis-L'existence Et La Valeur. France, Documents Et Inédits Du Collége De France, 1991. (4) Gobry, Yvam-De La Valeur. Louvain, Paris, Vander/Vauwelaerts, 1975. (5) Tylor, B.-Primitive Culture. (1871) In: Enciclopédia Mirador Internacional, Vol. 7. (6) Malinovoski-Uma Teoria Científica Da Cultura. 3ª Edição. Rio De Janeiro, Zahar Ed., 1975. (7) Reale, Miguel-Paradigmas Da Cultura Contemporânea. São Paulo, Saraiva, 1996. |